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Une attaque israélienne sur l’Iran ferait des milliers de victimes

September 25, 2012 | Written by: Article Posted in Le Point.fr Site

Le Point.fr – Publié le 25/09/2012 à 15:38 – Modifié le 25/09/2012 à 15:42

Pour la première fois, un rapport américain s’intéresse aux dégâts humains qu’engendreraient des frappes préventives sur les sites iraniens.

Des travailleurs iraniens devant la centrale de Bushehr(Sud).
Des travailleurs iraniens devant la centrale de Bushehr(Sud). © Majid Asgaripour / Reuters

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C’est une donnée occultée du débat sur la nécessité pour Israël de bombarder préventivement les sites nucléaires iraniens. Elle se révèle pourtant essentielle. Pour la première fois, un rapport scientifique américain interpelle sur les pertes humaines qu’engendrerait une telle attaque. Dans The Ayatollah Nuclear Gamble (“Le pari nucléaire des Ayatollahs”) publié par l’institut de politique Hinckley de l’université d’Utah (États-Unis), l’industriel et philanthrope Khosrow Semnani chiffre à plus de 80 000 le nombre d’Iraniens qui pourraient être les victimes directes (décès) et indirectes (blessures et contamination) d’un bombardement aérien israélien.

Pendant deux ans, cet Américain d’origine iranienne, diplômé en physique et en chimie, aidé par l’ingénieur nucléaire Gary Sandquist, a épluché les chiffres publiés par le gouvernement iranien et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ainsi que les rapports de divers experts occidentaux et iraniens, pour évaluer avec précision les risques de frappes ciblées sur les sites iraniens. Il porte ainsi son étude sur quatre sites – Ispahan, Natanz, Arak et Bushehr – dont les trois premiers seraient, d’après le rapport, “certainement visés” par l’aviation israélienne.

Libération de gaz toxiques

En cas de bombardement, les premières victimes seraient les fonctionnaires travaillant dans les différents centres. “En sachant que dans chacun des sites étudiés deux équipes se relaient nuit et jour, entre 3 500 à 5 500 personnes seraient physiquement présentes au moment de l’explosion”, affirme au Point.fr Khosrow Semnani. “95 % d’entre elles seraient tuées sur le champ : par la déflagration puis la haute température dégagée, et enfin par l’explosion des capsules d’hexafluoride d’uranium”, indique le scientifique. L’État hébreu a pourtant assuré que ses frappes seraient chirurgicales. Une explication que rejette en bloc Khosrow Semnani. “Si Israël frappe les sites nucléaires iraniens, c’est pour les détruire dans leur totalité, pas partiellement”, souligne-t-il.

Pourtant, cette phase de bombardement ne serait pas la plus meurtrière. D’après le rapport, le danger le plus important demeure la libération certaine dans l’atmosphère des gaz hautement toxiques contenus sur les sites. Un risque d’autant plus important que la République islamique a soigneusement dispersé ses sites nucléaires à proximité de centres urbains. Selon l’AIEA, l’Iran aurait produit, de 2004 à 2009, un excès de 371 tonnes métriques d’hexafluoride d’uranium, conservé dans son centre de conversion d’uranium d’Ispahan (centre) et dans son usine d’enrichissement d’uranium de Natanz (centre). Or le rapport est formel : une attaque sur ces deux sites libérerait des composés de fluorine qui se transformeraient dès lors en acide hydrofluorique.

Cancers et malformations

“Cet agent hautement réactif étouffe les gens lorsqu’il est inhalé”, indique le document. “Il est encore plus corrosif que le gaz chlorine utilisé lors de la Première Guerre mondiale.” “En cas de destruction des bâtiments, il est évident qu’une certaine quantité de ce gaz serait effectivement relâchée dans l’atmosphère”, affirme Khosrow Semnani. D’après le rapport, si 5 % seulement des 371 tonnes métriques d’uranium hexafluoride produit étaient relâchées dans l’atmosphère, le gaz toxique pourrait atteindre la ville d’Ispahan en moins d’une heure : 240 000 habitants seraient exposés, notamment les districts 4 et 6 de la ville.

Mais à 20 % de gaz relâché, 352 000 résidents seraient alors menacés. “En considérant un taux de 5 à 20 % de personnes touchées, on estime qu’entre 12 000 et 70 000 personnes pourraient être contaminées”, assure le rapport. De plus, les dégâts sur l’environnement pourraient entraîner une augmentation significative des taux de cancer et de malformations de naissance. Pour sécuriser son programme nucléaire, qu’il affirme être à vocation civile, l’Iran a construit ses sites d’enrichissement d’uranium sous terre, à Natanz et à Fordow (nord). Assez pour éviter de devoir compter ses morts ?

Le spectre de Tchernobyl

“Le bombardement serait d’autant plus important que le site est souterrain”, assure Khosrow Semnani. “Ces sites seraient transformés en véritables tombeaux de masse.” Toutefois, le scientifique admet qu’à Natanz, les risques d’exposition aux gaz toxiques sont cette fois moins importants, la centrale étant entourée de zones rurales. “Entre 800 et 7 000 personnes seraient tout de même exposées si seulement 1 % du gaz était libéré dans l’atmosphère”, note-t-il cependant. La menace la plus sérieuse concerne le réacteur nucléaire de Bushehr (sud), livré par la Russie en septembre 2011, dont le rapport juge le bombardement “très peu probable mais pas complètement impossible”.

“Des frappes sur Bushehr libéreraient de la matière radioactive dans l’atmosphère”, prévient Khosrow Semnani. “Les vents dominants soufflant en direction de la ville (…), des centaines de milliers de personnes dans la région seraient exposées à des niveaux dangereux de radioactivité”, souligne le rapport. “Si seulement 1 à 5 % de la population est exposée, de 2 400 à 12 000 personnes pourraient souffrir de sérieux problèmes de santé, comme ceux observés après Tchernobyl.” Outre l’Iran, le bombardement de Bushehr exposerait les citoyens des pays voisins du Golfe persique à une “grave crise environnementale et économique”, assure le document.

Provocations des ayatollahs

Pour minimiser les conséquences d’une possible attaque contre les sites iraniens, nombre d’experts rappellent les succès des bombardements israéliens du réacteur d’Osirak, en 1981 en Irak, et de celui d’al-Kibar, en Syrie en 2007, dont les pertes civiles se sont révélées limitées. Une comparaison qui fait bondir Khosrow Semnani. “Il est intellectuellement malhonnête de mettre sur le même plan ces deux opérations avec l’Iran”, s’insurge le scientifique. “Les deux réacteurs étaient encore en construction lorsqu’ils ont été bombardés. Ils ne renfermaient donc aucune substance toxique.”

Khosrow Semnani pourrait paraître un ardent défenseur du régime iranien. Il n’en est rien. L’homme, qui a fondé l’ONG de soutien à la démocratie Omid for Iran (Espoir pour l’Iran) en 2009, se montre très critique à l’encontre de la politique répressive de la République islamique, où il n’a plus mis les pieds depuis 39 ans. Ce n’est pas non plus un hasard si son rapport ne vise pas Israël mais les dirigeants iraniens. “Je l’ai appelé The Ayatollah Nuclear Gamble (Le pari nucléaire des Ayatollahs) parce que ce sont les provocations de l’ayatollah Khamenei et du président Ahmadinejad qui font qu’Israël menace aujourd’hui l’Iran”, souligne le scientifique. “Or il faut savoir qu’en cas de frappes, une génération entière d’Iraniens ressentira de l’hostilité envers ceux qui ont soutenu l’attaque. Le danger en termes de pertes humaines est si important qu’il doit être pris en compte dans les discussions sur le nucléaire iranien.”

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